Fluidifier l’administration, à l’âge de l’écran

Dans son dernier livre intitulé « Les furtifs », Alain Damasio fait l’éloge du mouvement et de la métamorphose permanente. Ses furtifs sont des créatures qui vivent là où personne ne regarde, qui évoluent, s’adaptent et se transforment sans cesse (c’est pas du divulgâchis, tout ça c’est dans l’incipit).

L’administration semble être à l’antithèse de cette philosophie du changement permanent. Et pourtant, un de ses grands principes est la mutabilité, c’est-à-dire le fait que le service public doit s’adapter au monde qui change.

Une des difficultés : la manière dont les agents doivent accomplir leurs tâches est souvent définie explicitement, au lieu de leur laisser de l’autonomie et qu’ils se concentrent sur l’objectif de leur mission. Pire encore, ces contraintes sont généralement écrites sur du papier. Or le monde du papier est prévu pour la conservation, contrairement au monde de l’écran, lui construit pour le changement perpétuel. Les pixels de nos ordinateurs et téléphones s’allument et s’éteignent chaque seconde, alors que les livres restent les mêmes (et tant mieux d’ailleurs).

Pour que l’administration puisse se modifier et changer de forme sans cesse, tout en continuant d’assurer encore et toujours ses missions de service public, deux bonnes pratiques du développement logiciel me semblent inspirantes :

1/ La modularité. Quand du code informatique est modulaire, chaque module remplit une fonction, en recevant des données en entrée et en fournissant un résultat en sortie. Modifier le fonctionnement interne d’un module ne pose aucun problème et n’impacte pas le fonctionnement de l’ensemble, tant que les formats d’entrée et de sortie restent les mêmes.

Or l’administration est souvent organisée en silo plutôt qu’en module, et chaque silo essaye d’optimiser ses indicateurs plutôt que de remplir la mission de l’administration. Pourtant quand les équipes sont autonomes (les modules), se concentrent sur un objectif (la sortie) et s’organisent comme elles le souhaitent, les résultats sont fantastiques. C’est par exemple ainsi que fonctionnent les startups d’État du réseau beta.gouv.fr ou les équipes de l’Agence du numérique, comme Société numérique ou la French Tech.

2/ La documentation. Le code d’un logiciel change sans cesse. Pour s’y retrouver et comprendre qui fait quoi, une bonne documentation est primordiale. Dans l’idéal, cette documentation est facilement explorable et mise à jour à chaque changement de code.

Dans l’administration, il y a tellement de référentiels, de directives, d’arrêtés, de notes, qu’il est souvent impossible de savoir si nous avons bien tout pris en compte. Tout est tellement fragmenté entre différents sites, difficilement explorable et encore plus difficilement modifiable. À l’âge du papier, il était évidemment impossible d’organiser les choses autrement. Mais dans notre âge de l’écran, les référentiels documentaires pourraient être comme le code : disponibles, versionnés et modifiables simplement. Les documents seraient alors comme des furtifs : toujours en mouvement, toujours en vie.

Article publié à l’origine sur Medium.