Faire un pays et pisser du code

« J’ai fait l’Argentine, c’était in-croy-able ! »

Souvent mes amis me disent qu’ils ont « fait » un pays. À chaque fois que j’entends cela, je pense à ces cartes du monde où les pays sont à gratter comme des tickets de loterie. Le but est de se rendre dans chaque pays afin de pouvoir gratter la forme correspondante, pour afficher ensuite à ses invités son caractère aventurier.

Tellement de verbe plus jolis existent pour décrire le fait d’aller dans un pays étranger : visiter, découvrir, rencontrer, flâner, effleurer… Mais ce verbe « faire » décrit bien la touristification du monde, en cours depuis des décennies. Nous voulons en avoir pour notre argent, visiter en une semaine tous les sites incontournables et surtout avoir des photos instagramables. Le tourisme est devenu une industrie comme une autre.

Une autre voie se dessine cependant et quelques signaux faibles apparaissent : des Suédois qui commencent à juger honteux de prendre l’avion, des collectivités qui essaient de faire rester les touristes afin que ces derniers ne visitent pas seulement l’attraction principale. Avec le slow tourism, nous assistons à l’émergence d’une forme de voyage plus artisanale.

Dans le milieu du développement logiciel, ces mêmes grandes tendances coexistent. D’un côté, les SSII embauchent des débutants pour « pisser du code », de l’autre, des coopératives se montent où des codeuses et codeurs tentent de promouvoir l’artisanat logiciel (software craftmanship). Avec évidemment toutes les nuances possibles et imaginables entre ces deux extrêmes.

Comme d’habitude, nos cultures vivent ce phénomène d’oscillations, de cycles. Une fois le monde industrialisé et processé, tout repart dans l’autre sens en faisant de l’artisanalité, de l’unicité, du défaut, bref, de l’humanité, des vertus. Mais au cours de ces oscillations de cultures, les choses ne reviennent jamais telles qu’elles étaient à leur point de départ et tout évolue. Nous sommes sur une trajectoire hélicoïdal plutôt qu’un cercle. Et nous flânons dans ce monde toujours changeant.

Article publié à l’origine sur Medium.