Numérique et wabi-sabi

Publié en 1994, l’essai « Wabi-Sabi: for Artists, Designers, Poets & Philosophers » de Leonard Koren a contribué à populariser le terme de wabi-sabi (侘寂) en Occident. Il s’agit d’un concept esthétique japonais renvoyant à la simplicité, à la terre, à l’imperfection, aux marques laissées par le temps qui passe…

L’histoire du wabi-sabi est liée à la cérémonie du thé japonaise et au zen. Au seizième siècle, des maîtres commencent à utiliser lors de leurs cérémonies des poteries humbles et fabriquées par des artisans locaux, au lieu de la porcelaine luxueuse et ultra-décorée qui était la norme jusqu’alors. Ils arrivent à changer la perception par l’élite de ce qu’est le luxe : non plus un salon de thé doré à l’or fin et remplie de vaisselle fine, mais plutôt une modeste cabane de paysan et des tasses rustiques.

En ce qui concerne le numérique aujourd’hui, il semble que nous soyons encore en plein dans les dorures. L’esthétique moderniste qui nous entoure valorise ce qui est lisse, pure et rectiligne. Parce qu’effectivement, le modernisme se veut pratique, facile à utiliser et sans ambiguïtés, ce qui en fait un partenaire idéal pour nos applications « centrées utilisateur ».

Mais si nos applications sont faciles à utiliser, la nature, elle, est plaisante à contempler. Personne ne passe des heures à admirer un site web alors qu’observer les étoiles, regarder le soleil se coucher ou se balader dans la forêt sont encore des activités répandues chez les humains. Face aux infinies variations imprévisibles qu’offre la nature, l’absence d’aspérités du monde de l’écran manque souvent de poésie.

Comment alors rajouter du wabi-sabi dans nos produits numériques si policés ? De l’impermanence, de l’imperfection, de l’incomplétion ?

Le seul wabi-sabi visible à l’heure actuel, ce sont ces écrans cassés de smartphone qu’ont tous les adolescents. Ces écrans qui accrochent le pouce et rendent invisibles certains pixels. Ces écrans qui nous renvoient au temps qui passe et laisse partout sa marque.

À quand une éclosion de l’esthétique wabi-sabi dans le numérique ? Est-elle seulement possible ?

Article publié à l’origine sur Medium.