L’innovation cyclique
Dans le MOOC du CNAM « Fabriquer l’innovation » tout un chapitre est consacré à la création du Minitel. Une des choses frappantes dans cette histoire est la similarité de certaines idées de l’époque avec des concepts très contemporains.
L’UX design, par exemple, existait déjà dans les années 80. Plutôt que de balancer des Minitels à tous les Français en mode gros bourrin, la Direction générale des Télécommunications (DGT, ancêtre de France Télécom, ancêtre d’Orange) a décidé de tester l’utilisabilité de ce dispositif, censé remplacer l’annuaire papier, en Ille-et-Vilaine. Cette expérience a permis de mettre en lumière quelques limites du système :
- Faire une recherche prenait plus de temps que sur l’annuaire papier ;
- Les utilisateurs avaient du mal avec le clavier alphabétique car ils étaient déjà habitués à l’AZERTY à cause des machines à écrire ;
- Le système n’avait aucune tolérance quant aux fautes d’orthographe ;
- Avoir une seule fonctionnalité (l’annuaire) n’était pas suffisant.
Le bénéfice de cette expérience est double pour la DGT : les connaissances acquises permettent de faire évoluer le modèle et l’implication des usagers facilite l’acceptation du système. Pour résoudre la question des fonctionnalités, un nouveau dispositif est imaginé : le kiosque. Il s’agit de permettre à des éditeurs de déployer des services payants sur le Minitel. La DGT gère la facturation et reverse deux tiers de l’argent aux éditeurs. Ce modèle de gestion centralisé de services et son modèle économique rappellent furieusement celui qui a fait le succès de l’iPhone : l’App Store d’Apple. Le pourcentage reversé aux développeurs par l’entreprise y est d’ailleurs de 30%.
Sur ce kiosque, de nouveaux services apparaissent et ressemblent déjà à ceux qui seront plus tard disponibles sur internet (à ceci près qu’il n’y a pas de souris sur le Minitel et qu’il faut donc tout faire au clavier). Dès les années 80, il est donc possible de lire le journal, de consulter ses comptes ou même de discuter en ligne depuis son salon. Et signe avant-coureur de l’importance de l’industrie du porno sur internet, plus de la moitié des revenus tirés du Minitel viennent des « messageries roses ».
Évidemment, depuis le Minitel, beaucoup de choses ont évolué, de la puissance de calcul et la taille réduite des appareils, à la simplification des interfaces. Mais pour les innovateurs, il est souvent utile de regarder dans le rétroviseur : à la fois pour y puiser de l’inspiration, mais également pour prendre une bonne dose d’humilité en remarquant que beaucoup de belles choses ne nous ont pas attendu pour être inventées.
30 octobre 2019Article publié à l’origine sur Medium.